Baroquisme

Alessandro Scarlatti (1660 - 1725) §

 

L'opéra baroque italien, au XVIIème siècle, est passé par quatre phases successives qui sont :

1 - l'opéra florentin qui apparaît dès 1600, et dans lequel on classe l'Orfeo de Monteverdi, pourtant créé à Crémone en 1607 ;

2 - l'opéra romain qui se rapproche de l'oratorio primitif, avec ses sujets hagiographiques (vie des Saints) ;

3 - l'opéra vénitien dans lequel se remarque encore Monteverdi avec l'Incoronazione di Poppea (1642), et qui marque l'abandon des sujets mythologiques ou religieux au profit des sujets historiques ;

4 - l'opéra napolitain qui continue la voie tracée à Venise, pour aboutir finalement à un style caractérisé par une  différenciation très nette entre récitatif et air, ce dernier sous la forme  tripartite de l'aria da capo.

C'est à cette quatrième phase de l'histoire de l'opéra que le nom d'Alessandro Scarlatti reste attaché. On lui en attribue plus de cent, dont une fraction infime seulement est connue du public à travers les solos virtuoses de castrati ou de soprani mentionnés plus haut sous le nom d'aria da capo.

Pour nous Alessandro Scarlatti reste cependant et avant tout l'auteur d'une des plus belles messes concertantes (Messe pour la Sainte-Cécile), que Jean-Sébastien Bach aurait pu signer, et celui des six concerti (en réalité des sonates "a cinque") qui sont dignes de ceux que Haendel composait à la même époque.

François Couperin "Le Grand" (1668 - 1733) §

 

De François Couperin, dit "Le Grand", on retiendra principalement qu'il fit partie d'une dynastie d'organistes, dont le membre principal fut son oncle Louis, mais que, paradoxalement, on ne possède de lui aucune musique d'orgue qui puisse lui être attribuée en toute certitude. Il avait pourtant été nommé, sous Louis XIV, organiste à la Chapelle Royale de Versailles, mais il semblerait bien que le monarque et la Cour aient surtout apprécié ses qualités de claveciniste. Couperin est en effet l'auteur de plus de 400 pièces de musique destinées à l'instrument essentiellement aristocratique du temps où il vécut : le clavecin. Une partie seulement de ces oeuvres nous est connue dans la publication qu'il en fit en quatre Livres. Dans la plupart des cas, les morceaux composés sont des pièces descriptives, des "portraits" ou "tableaux" dont le sujet est annoncé par un titre évocateur ou énigmatique (exemple : Sœur Monique et Les Barricades mystérieuses). Ces pièces sont regroupées en "ordres" de même ton ou tonalité  au nombre de 27. A cela s'ajoutent les sonates à l'Italienne et des"concerts royaux" ou "des Goûts Réunis", premiers exemples, en France, de "musique de chambre" au sens ancien de l'expression : celle-ci désigne, à l'époque, la musique destinée au Palais, en l'occurrence ici, celui de Versailles. Le génie de Couperin est incontestable et le classe avec Bach, Haendel, Rameau et Domenico Scarlatti au rang des "grands" qui ont servi le clavecin avant que celui-ci ne soit remplacé par le piano.

Antonio Vivaldi (1678 - 1741) §

 

C'est ici qu'il y a lieu, sans doute, de se référer à la célèbre boutade d'Igor Stravinsky, lequel avait dit un jour que Vivaldi n'avait pas composé cinq cents concerti, mais qu'il avait écrit cinq cent fois le même concerto.

Bien sûr, l'auteur du Sacre du Printemps exagérait un peu ; mais il y a tout de même dans cette plaisanterie quelque chose de vrai, qui fait que dans l'oeuvre du "prêtre roux" on peut se contenter sans grand dommage de ne retenir qu'une partie : pas seulement "les Quatre Saisons" ou "la Notte" d'ailleurs, mais aussi d'autres partitions répondant à la définition du concerto à un ou plusieurs solistes. Jean-Sébastien Bach lui-même, d'ailleurs, ne s'y est pas trompé, puisqu'il prit soin de recopier, pour se faire la main, plusieurs concerti du maître italien. Et puis Vivaldi est bien l'auteur du Gloria en Ré Majeur, un chef-d'oeuvre sans pareil, celui-là !

Jean-Sébastien Bach (1685 - 1750) §

 

N’allons pas jusqu’à affirmer, comme Romain Rolland au début du siècle dernier, que l’œuvre du grand Bach contient "toute la musique d’hier et celle de demain" ou, comme le faisait Robert Schumann, que "les autres musiciens, à côté de lui, ne sont que des enfants". Ce serait sans doute un peu exagéré, et surtout contre-productif, pour qui a l’intention, comme l’auteur de la CIME, d’initier le mélomane néophyte à l’écoute de toutes les œuvres offrant un intérêt musicologique majeur, ceci sans préjugé, et sur une durée de huit siècles. Reste que la production du "Cantor de Leipzig" a de quoi intéresser et remplir une vie toute entière pour qui aurait vraiment l’intention d’en faire le tour complet…

Le Docteur Albert Schweitzer avait coutume de dire que Bach était "le cinquième Evangéliste", ce qui ne fait guère de doute pour qui a écouté les très nombreuses cantates sacrées, les Passions selon St-Jean (1723), St-Matthieu (1729), la Messe en Si (1733) ou l’Oratorio de Noël (1734). Ici, on peut dire en effet, en empruntant le titre d’une œuvre dont l’auteur est Chateaubriand, que Bach a su magnifier, mieux que quiconque, "le génie du Christianisme". Mais ce n’est pas tout, car on peut très bien entrer dans la compréhension de l’art de Bach par d’autres portes : celle de ses Suites pour orchestre, par exemple, ou de ses concertos, sans oublier la musique de clavier, clavecin ou orgue, domaine dans lequel l’apport du Maître allemand est sans égal.

On trouve tout cela dans l’application.

Georges Frédéric Haendel (1685 - 1759) §

 

Etablir un parallèle et une comparaison entre Bach et Haendel, nés tous deux en 1685, l’un en Thuringe et l’autre en Saxe, donc Allemands du Nord graves et sérieux comme ceux-ci savent l’être, est un exercice ultra-tentant auquel se livrent depuis longtemps musiciens, mélomanes et musicologues. Il est rare, cependant, que la comparaison tourne à l’avantage second, mais cela est arrivé, avec des juges dont l’avis est difficilement récusable : Beethoven par exemple, plaçait l’auteur du Messie au-dessus de celui de l’Offrande Musicale. Romain Rolland, quant à lui, se tirait de la difficulté en déclarant que, si Bach était bien, des deux, le plus grand musicien, Haendel, pour sa part, était le plus grand "homme". L’écrivain français, dont la passion dominante avait été l’étude de la musique allemande, faisait ainsi référence aux qualités humaines de Haendel, qui, lorsqu’il mourut, fit don de tous ses biens aux jeunes aveugles, et dont la musique a quelque chose de tonique et de roboratif qui porte ceux qui l’écoutent à l’envie de vivre pleinement l’instant qui passe.

Reste de tout cela que Haendel est sans doute, avec Liszt au siècle suivant, le plus "européen" (au sens d’international) des compositeurs illustres entrés dans la CIME : né allemand, italien de formation, il a fini anglais de cœur et d’adoption. Sa musique est une synthèse magistrale des différents styles en vigueur de son temps en Europe, identifiés pour la plupart, à l’époque, sous les noms de "goût français" et de "goût italien". Et pour résumer ce qui précède, en une formule brève, on peut dire que Haendel, mieux que le fit Couperin peu de temps avant lui, a réalisé dans ses musiques royales, ses trente-deux oratorios et ses quarante opéras, une somptueuse apothéose des Goûts Réunis.

Domenico Scarlatti (1685 - 1759) §

 

On n’est pas impunément le professeur de clavecin d’une Infante du Portugal devenue Reine d’Espagne en 1729, et que l’on suit jusqu’à la fin de sa vie dans ses résidences de Séville, Madrid et Aranjuez. C’est pourtant bien ce qui arriva à Domenico Scarlatti, le fils du grand compositeur sicilien Alessandro Scarlatti, dont la deuxième partie de l’existence se passa dans la péninsule ibérique, loin de son Italie natale, au service de ladite reine. S’il n’avait pas connu l’exil, Domenico Scarlatti n’aurait probablement jamais écrit ces quelque 550 sonates pour clavecin, qui constituent l’essentiel de son œuvre, et qui brillent d’un éclat inattendu et d’une passion plus espagnole qu’italienne. Un petit nombre de ces œuvres furent éditées du vivant même de leur auteur sous le nom "d’exercices" (essercizi), et ceci en Angleterre. Ces publications eurent lieu à Londres, à une époque et en un lieu où Haendel, l’exact contemporain de D. Scarlatti, connaissait ses plus belles réussites. Leurs talents respectifs de maîtres du clavier avaient été comparés, quelques années plus tôt en Italie par un jury de connaisseurs. Ces derniers déclarèrent les deux musiciens égaux à l’orgue mais accordèrent la palme du vainqueur à Domenico Scarlatti pour le jeu du clavecin, ce qui, à tout prendre, n’était pas si mal vu.

Les sonates de Scarlatti sont des œuvres brèves et étincelantes, qui peuvent parfaitement être jouées au piano, tout autant qu’à l’instrument à clavier et cordes pincées, pour lequel elles furent conçues à l’origine. On trouvera confirmation de ce fait dans les exemples qui ont été réunis dans la version numérisée de la CIME.

Jean-Philippe Rameau (1683 - 1764) §

 

Rameau, c'est tout d'abord une cinquantaine de pièces pour clavecin éditées par Suites de même ton en trois Livres (1706, 1724, 1728). La plus développée de ces pièces est la gavotte en La mineur avec ses six doubles (variations) proposée sur ce site dans une version pianistique qui met en valeur le caractère "savant" et l'habileté d'écriture du compositeur dijonnais. 

Aujourd'hui, l'auteur de cette gavotte est surtout connu et admiré pour ses cinq grandes tragédies lyriques, que la vogue actuelle de la musique "baroque" a remises au premier plan de l'actualité pour les amateurs d'opéra. Rappelons à ce sujet la phrase attribuée à Campra qui, après avoir assisté à la première représentation d'Hippolyte et Aricie (1733), se serait écrié : "Cet homme-là nous éclipsera tous. Il y a dans sa tragédie lyrique de quoi en faire dix"... ; et rappelons aussi l'autre phrase célèbre prononcée, celle-ci vers 1900, à propos du même Rameau, par un illustre chef d'orchestre hongrois appelé Arthur Nikisch : "Si Rameau était allemand, on le trouverait plus grand que Bach".

La version numérisée de la CIME permet, bien entendu, d'écouter la plupart des pièces de clavecin et les cinq tragédies lyriques dont l'existence est mentionnée plus haut. Mais ce n'est pas tout, car Rameau, doué lui-même des talents lyriques que sont la Poésie, la Musique et la Danse, dont il fait la démonstration dans les Fêtes d'Hébé (1739), a composé bon nombre d'actes de ballet dont certains peuvent être retrouvés dans l'application numérique. Citons par exemple les cinq "entrées" constituant Les Indes Galantes (1737), le plus célèbre des ouvrages théâtraux et chorégraphiques du musicien bourguignon, lequel ouvrage est appelé pour cette raison par les historiens de la Musique "un opéra-ballet".

Joseph Cassanéa de Mondonville (1711 - 1772) §

 

Né 28 ans après Rameau et 3 avant Gluck, mort 8 ans après le premier et 15 avant le second, Mondonville, tout comme ses deux contemporains illustres auxquels il est fait ici référence, apparaît comme un compositeur typique de l’époque durant laquelle il a vécu, et que les historiens appellent "l’Ancien Régime".

Cependant, sa spécialité à lui n’est pas la tragédie lyrique, comme elle fut celle de Rameau et de Gluck, mais une forme de musique bien différente nommée "grand motet versaillais". Pour ceux qui l’auraient oublié, rappelons qu’un motet est la mise en musique d’un texte rédigé en latin d’église, qui ne fait pas partie de "l’ordinaire" de la messe, et qui n’est donc ni Kyrie, ni Gloria, ni Credo, Sanctus ou Agnus Dei. Sous le règne de Louis XIV, en effet, la forme musicale du motet avait pris, à la Chapelle de Versailles, une tournure très caractéristique, visant à la glorification du monarque plus encore qu’à celle de Dieu, dont il était considéré comme le représentant sur la Terre. Conçu de la sorte, le grand motet put parfaitement, sous le règne suivant, celui de Louis XV, être détaché de l’office religieux proprement dit, pour donner lieu à des "concerts spirituels" ouverts à tout public. C’est ce que fit Mondonville, qui passe pour être, de ce fait, l’inventeur, en France, du concert dominical à entrée payante.

Le génie de Mondonville est incontestable et s’exprime, tout particulièrement, dans deux de ses grands motets qui ont pour titre Dominus regnavit (1736) et In exitu Israël (1753). C’est d’ailleurs ces œuvres qui ont été choisies pour la musique d’accueil de la partie du site de la CIME relative à l’abbaye de Saint-Sever de Rustan.

Classicisme

Georg P. Telemann (1681 - 1767) §

 

Lorsqu'il fut reçu premier au concours organisé à Leipzig en 1722 pour le recrutement d'un nouveau "Cantor" affecté à l'Eglise Saint-Thomas, Telemann eut le bon goût de se retirer en faveur de Jean-Sébastien Bach qui n'était que second... Esprit brillant et auteur fécond (1400 cantates d'après le Bordas !), Telemann, contemporain de Bach, de Haendel et de Rameau, est né longtemps avant les compositeurs auxquels est attribuée ici l'étiquette de "classiques". Cependant, il passe pour être le créateur d'un style nouveau, dit "galant", qui préfigure celui qui prévaudra à la fin du XVIIIème siècle, ceci expliquant cela...

Christoph W. Gluck (1714 - 1887) §

 

Compositeur favori de l'infortunée reine Marie-Antoinette, et compatriote, Gluck eut la chance de mourir dans son lit à Vienne, et non sur l'échafaud à Paris, comme cette sœur de l'Empereur Joseph. Gluck est l'expression même d'une forme de sensibilité, autant dire de sensiblerie, très en vogue à la fin du XVIIIème siècle. Le  philosophe Michel Serres a donné à cet état d'esprit le nom de "rousseauisme larmoyant". On aurait tort cependant d'en conclure que l'auteur d'Orphée n'est pas un des grands noms de l'histoire du théâtre lyrique, ce qui n'a pas échappé au romantique Hector Berlioz .

Joseph Haydn  (1732 - 1809) §

 

Sonate, concerto, symphonie et quatuor à cordes sont les formes fondamentales de la musique classique.

L'Autrichien Haydn les a toutes pratiquées avec un égal bonheur. On a même dit de lui qu'il était le "père" de la symphonie et du quatuor, ce qui lui a valu, chez les mélomanes, le surnom affectueux de "papa Haydn".

Luigi Boccherini  (1743 - 1805) §

 

L'Italien Boccherini n'a pas seulement composé le célèbre menuet qui porte son nom. Il est également l'auteur d'un certain nombre de symphonies et d'une quantité stupéfiante de musique de chambre (+ de 140 quintettes !) dans lesquels il se montre parfois l'égal de ses plus illustres contemporains autrichiens...

Wolfang A. Mozart (1756 - 1791) §

 

Au XIXème siècle, le musicologue autrichien Koechel a établi, sur une base chronologique, le catalogue complet des oeuvres de Mozart ; il en a découvert plus de six cents, d'où l'embarras du choix.

 Par le passé, le compositeur salzbourgeois a souvent été qualifié de "divin". Dans le final de sa dernière symphonie, la n°41 en Ut Majeur, Mozart est carrément olympien ; de là provient sans doute le second titre de cette oeuvre, qui est "Jupiter". On peut écouter cette conclusion olympienne ou apollinienne, comme on voudra, qui est aussi la nôtre à propos de Mozart.

Ludwig van Beethoven (1770 - 1827) §

 

Contemporain du vicomte François René de Chateaubriand et de l'Empereur Napoléon Ier, l'Allemand Beethoven a, tout comme eux (mais chacun dans son domaine particulier), achevé le XVIIIème siècle et anticipé le XIXème. Dans la sonate et la symphonie, "le Maître de Bonn", comme on surnomme parfois Beethoven, a remplacé le menuet par un "scherzo", d'un mot italien signifiant "je plaisante, je badine".

"Un scherzo, ça tourne", déclara un jour fort judicieusement un collégien de Troisième, et ce n'est pas non plus, forcément, une plaisanterie, comme le rappelait avec humour le compositeur américain Charles Ives pour son Trio avec piano : "This scherzo is not a joke". Et le moins qu'on puisse dire, c'est que, dans le fantastique scherzo de sa Neuvième Symphonie, Beethoven mène l'affaire rondement...