Polyphonie

Léonin (vers 1200, probablement un peu avant) §

 

Pour désigner la polyphonie primitive, celle qui naît en Occident du IXème au XIIIème siècle, les musicologues utilisent trois termes différents, mais ayant à peu près le même sens : diaphonie, organum et déchant (discantus). "Magister Leoninus" (Maître Léonin) fut le premier à noter ce qu'il chantait ou faisait chanter : l'organum à vocalises encore appelé "organum fleuri". Sur la base d'un fragment de chant grégorien qui s'étire démesurément en valeurs longues et qui est nommé "teneur", se déploie en lignes sinueuses et souples arabesques un unique contrechant : la"voix organale", qui est aussi le "discantus", proprement dit.

Pérotin, dit "le Grand" (vers 1180 - 1230) §

 

L'organum à vocalises prit une allure plus étoffée sous le règne de Saint-Louis, avec l'ajout, par un certain Perotinus ("Pérotin", peut-être la latinisation de "Pierre" ou de son diminutif "Pierrot"), d'une deuxième, puis d'une troisième voix organale ; d'où un entrecroisement de lignes mélodiques volubiles, prenant appui sur des intervalles harmoniques de quarte, de quinte ou d'octave. Une autre particularité de l'organum, chez Pérotin, est la division du temps de la mesure (tactum) qui est toujours ternaire. En effet, le nombre 3, au Moyen-âge, symbolise la perfection divine. Celle-ci est affirmée dans le dogme ecclésial de la Sainte-Trinité que forment Dieu le Père, son Fils Jésus-Christ et le Saint-Esprit. Comme tout cela se passe à Paris vers 1200, sous les voûtes d'une cathédrale alors en cours d'édification, on a donné à ce binôme des "faiseurs d'organum" Léonin-Pérotin le nom "d'Ecole de Notre-Dame". Pérotin ayant été qualifié "d'optimus discantor" par un théoricien anglais du siècle suivant nommé Jean de Garlande, on lui attribue parfois le qualificatif de "Grand".

Adam de la Halle, dit "le Bossu" (1237 - 1287) §

 

"Le Bossu" est le surnom d'un trouvère d'Arras appelé aussi Adam de la Halle. C'était un poète musicien du nord de la France, qui a vécu dans la seconde moitié du XIIIème siècle, et fait passer dans le domaine profane certains éléments de l'organum ; et tout d'abord, le rythme ternaire qui donne une impression de tournoiement ; ensuite, les quartes, quintes et octaves comme base du rapport harmonique entre 3 voix qui se superposent, dans un tempo généralement allègre. Il en résultent des "rondeaux" ou des motets, vifs et virevoltants, non dénués d'un charme qui leur à valu la célébrité chez les médiévistes. Ces oeuvres peuvent être considérées comme les premiers exemples d'une chanson médiévale passant  de l'état monodique à l'état polyphonique.

Guillaume de Machault (vers 1300 - 1377) §

 

Au XIVème siècle, un évêque de Meaux, Philippe de Vitry, rédigea un traité intitulé "Ars nova" dans lequel se trouvaient exposées des idées nouvelles sur les différentes manières de concevoir la polyphonie d'église. Guillaume de Machault est celui qui a réalisé les innovations proposées dans le manuscrit en question. On trouve les plus importantes de celles-ci (le hoquet et la teneur isorythmique), mises en oeuvre dans sa célèbre Messe Notre-Dame (vers 1360), dont on a longtemps crû qu'elle avait été chantée pour le Sacre de Charles V, roi de France.

Mais Guillaume de Machault, savant ecclésiastique, était aussi poète à ses heures, et, qui plus est, un poète amoureux. Celui qui fut parfois nommé "le chanoine de Reims" a chanté, dans d'élégants virelais et de lyriques ballades, les vertus de sa Dame, une jeune champenoise, et celles des Héros de l'Antiquité, comme Thésée, Hercules et Jason.

Francesco Landini (vers 1330 - 1397) §

 

Ce que Guillaume de Machault fut pour la France, Francesco Landino (ou Landini) le fut en Italie : le plus grand musicien de son siècle à s'exprimer dans le cadre de la polyphonie. On sait de lui qu'il vécut à Florence au Trecento, nom donné en Italie au XIVème siècle, et qu'il devint aveugle. Mais sa cécité ne l'empêcha pas de jouer de l'orgue, ainsi que d'autres instruments. Il est connu et demeure célèbre, auprès des musicologues médiévistes, pour ses 140 ballades à 2 et 3 voix. Il a également composé un petit nombre de madrigaux (poème d'amour malheureux), dont l'un est écrit en forme de "caccia" : deux voix supérieures procèdent en canon au-dessus d'une "teneur" instrumentale.

John Dunstable (vers 1400 - 1453) §

 

C'est le premier musicien anglais (mais il était aussi mathématicien et astronome) qui fit une entrée remarquée en Europe continentale, dans le "concert des nations". John Dunstable était  le chanoine du duc de Bedford, frère du roi d'Angleterre Henri V, à une époque où celui-ci était appelé à régner sur la plus grande partie du royaume de France. Cet état de choses faisait suite à la désastreuse bataille d'Azincourt (1415), et au non moins catastrophique Traité de Troyes (1420). De ce fait, le rôle de Dunstable est capital, dans la mesure où il a exporté des îles britanniques, et importé en Europe continentale, la "consonance anglaise" fondée sur la tierce et la sixte. C'est sur la base d'une synthèse entre les deux consonances originelles (quarte et quinte en France et Italie, tierce et sixte en Angleterre) qu'a pu se produire en effet, aux XVème et XVIème siècles, le prodigieux essor et la diffusion internationale  de la polyphonie dite "franco-flamande".

Gilles Binchois (vers 1400 - 1460) §

 

Une miniature célèbre du XVème siècle montre deux musiciens habillés à la mode du temps et se faisant face ; celui de gauche, placé devant un orgue positif, est Guillaume Dufay, et celui de droite, tenant un luth, est Gilles Binchois. De fait, rien ne prouve que les deux hommes, nés en Flandre l'un comme l'autre, se soient un jour rencontrés. L'image en question ne fait que prouver qu'aux yeux de leurs contemporains, ils étaient considérés comme égaux en talent. De Gilles Binchois, dont la carrière s'est déroulée au service de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, on possède cinquante-cinq chansons écrites à trois voix. Comme les paroles ne sont notées que pour une voix seulement, les musicologues en concluent que les deux autres étaient des parties d'accompagnement jouées sur des instruments. Reste que ces chansons se distinguent de plusieurs manières : d'abord par la qualité des textes poétiques mis en musique, ensuite par la fusion des consonances harmonieusement réalisée, entre la quinte et la quarte continentales d'une part, la tierce et la sixte britanniques de l'autre, et enfin par la beauté de la phrase mélodique initiale. Le tout est emprunt d'une mélancolie qui s'exprime à travers un entrelacement de lignes graciles dans un style propre à "l'Ecole de Bourgogne" et au Moyen-âge finissant.

Guillaume Dufay (vers 1400 - 1474) §

 

La plupart des musiciens qui ont diffusé la chanson, le motet et la messe polyphoniques en Europe, au cours des XVème et XVIème siècles, étaient originaires d'une aire géographique relativement restreinte, s'étendant de Saint-Quentin, dans le nord de la France, à Amsterdam, capitale de la Hollande. Presque tous étaient, ce que nous appellerions aujourd'hui des Belges francophones, autrement dit des "Wallons". Tel était le cas de Gilles Binchois et tel fut celui de Dufay, né vers 1400, et formé à la maîtrise (chœur d'enfants) de la cathédrale de Cambrai.

De lui, on possède 37 fragments de messe, 9 messes complètes, environ 70 motets ou pièces assimilables, et 75 chansons de langue picarde, variété nordique du français d'alors. L'oeuvre de Dufay présente la synthèse de tous les procédés de composition propres à la polyphonie médiévale, parvenue à son plus haut niveau d'élaboration.

Sans entrer dans le détail, citons au passage l'imitation du motif de tête, la cadence à échappée, la superposition de paroles latines et françaises, l'usage ponctuel de l'italien, la primauté de la quinte comme intervalle fondamental du rapport harmonique entre les voix, le découpage isorythmique de la teneur et la consonance anglaise (faux-bourdon) dans le motet. Mais c'est surtout par la joliesse de ses chansons qu'il a retenu l'attention des musicologues médiévistes et autres commentateurs. Ainsi, Bernard Gagnepain, qui dans le numéro 931 de la collection "Que sais-je ?" écrit : "Chacune de ses chansons est une ravissante miniature où s'exprime avec un charme jamais surpassé tout une gamme de sentiments délicats". 

Johannes Ockeghem (vers 1420 - 1495) §

 

Encore un Franco-Flamand, Belge ou Wallon, comme on voudra, qui naquit en Flandre et reçut sa formation à la maîtrise où étaient formés au chant polyphonique les enfants de chœur de la cathédrale d'Anvers. A la différence du précédent (Dufay), et du suivant (Josquin des Prés), Ockeghem ne semble jamais être allé en Italie. Mais il fut le maître de chapelle de trois rois de France (Charles VII, Louis XI et Charles VIII), et le trésorier de Saint-Martin de Tours. D'intéressantes comparaisons ont été faites entre le style musical d'Ockeghem et l'évolution de l'architecture en son temps, parvenue à son stade ultime, appelé "gothique flamboyant". On connaît d'Ockeghem une quinzaine de messes et neuf motets à quatre voix ; à cela s'ajoute dix-neuf chansons profanes que Bernard Gagnepain qualifie "d'oeuvrettes". Rappelons au passage que le mot "motet", à l'époque d'Ockeghem, acquiert une définition dont il ne changera plus par la suite : celle d'être la mise en musique d'un texte sacré, donc latin, ne faisant pas partie de "l'ordinaire" d'une messe.

Juan del Encina (1468 - 1529) §

 

Il n'est nullement prouvé que le créateur du théâtre espagnol Juan del Encina, écrivain avéré, soit réellement l'auteur de la centaine d'oeuvres polyphoniques qui lui sont attribuées. En effet, ces oeuvres, qui ont aujourd'hui un peu plus de cinq cents ans d'âge, ne sont connues, pour certaines, que depuis un peu plus d'un siècle et, pour d'autres, beaucoup moins. Toutes ont été retrouvées dans des recueils appelés "cancioneros", dont il est vraiment impossible de dire qui les a écrits. Il est plus que vraisemblable que Juan del Encina n'ait été que le "parolier", et peut-être le "mélodiste", de la plupart de ces chansons, comme on dit aujourd'hui à la SACEM, laissant le soin à des "arrangeurs" réellement musiciens de terminer la tâche, dans les règles de l'art polyphonique. Celles-ci commençaient à peine, vers 1500, à être introduites en Espagne par des musiciens venus des Flandres.

Quoi qu'il en soit, il serait injuste de nier le charme de ces chants, pour la plupart des "villancicos".

Heinrich Isaac (vers 1450 - 1517) §

 

Encore un grand maître polyphoniste venu des Flandres, mais plutôt germanophone, celui-là... Il est certain qu'il vécut à Florence sous les Medicis, mais qu'il dut quitter cette ville pendant vingt ans, à la suite de la mort de Laurent le Magnifique, en 1492, et à cause des troubles causés par les prêches enflammés du moine fanatique Savonarole. En 1508, le chapître de la Cathédrale de Constance lui commanda une série de pièces pour l'office. Ce travail, publié en trois Livres et intitulé "Choralis Constantinus", contient bon nombre de motets et de messes, dont la plupart semblent avoir été composés bien avant leur date d'envoi à leur destinataire.

La musique d'Heinrich Issac ne tient plus au Moyen-âge que par quelques détails, et se situe esthétiquement au tout début du style nouveau, qui est celui de la Renaissance. Isaac a innové considérablement en composant des chansons allemandes, des danses stylisées et le premier "ricercar" connu dans l'histoire de la musique.

Josquin des Prés §

 

A la charnière du Moyen-âge et de la Renaissance, Josquin des Prés fut surnommé par ses contemporains le "Princeps Musicorum" : "Il est le seul à faire ce qu'il veut des notes", disait de lui Martin Luther, "alors que les autres  font ce que les notes veulent".

Palestrina §

 

Simplifier et rendre limpide le chant polyphonique d'église, conformément aux exigences de l'Eglise Catholique, formulées par ses évêques lors du Concile de Trente : telle fut la gageure tenue avec succès par Palestrina, dans le cadre de la Contre-Réforme...

Clément Janequin

Roland de Lassus §

 

Maître incontestable du motet polyphonique, Roland de Lassus, artiste franco-flamand né à Mons (actuelle Belgique), fut aussi le plus cosmopolite des musiciens de la Renaissance. On connaît de lui non seulement des chansons  françaises, mais également des chants "profanes" sur paroles italiennes et allemandes...

William Byrd

Victoria

Giovanni Gabrieli (vers 1557 - 1612) §

 

Lorsqu’on entend prononcer le nom de Giovanni Gabrieli, le mot qui vient tout de suite à l’esprit est celui de "polychoralité".

La technique compositionnelle du double-chœur (2x4 voix) procédant en masse, en alternance ou en écho, est assez fréquente au XVI siècle dans la polyphonie d’église, et on en connaît des exemples provenant de Rome, de Munich et d’ailleurs ; elle fut introduite à Venise par le flamand Adrian Willaert, et reprise ensuite par Andrea Gabrieli, oncle du musicien qui nous intéresse.

La présence de deux orgues et de deux loges qui se faisaient face dans la célèbre basilique Saint-Marc, permit ensuite à ce neveu, disciple et successeur d’Andrea Gabrieli, de développer l’écriture polychorale en portant le nombre des "chœurs" concertants de deux à trois, voire quatre ou cinq dans certains cas. Il faut prendre garde, cependant, à ce que le mot "chœur" désigne ici aussi bien un groupe de chanteurs qu’un quatuor d’instruments. Ceux-ci étaient principalement des "cornetti" (cornets à bouquin), des sacqueboutes (trombones anciens) et des violes (ancêtres du violon).

Un voyageur anglais, de passage à Venise vers 1600, a rendu compte de l’effet produit sur lui par la musique de Giovanni Gabrieli, d’une manière pittoresque, et dans un texte savoureux et mémorable qui est le suivant : "Parfois seize ou vingt hommes chantaient ensemble, ayant leur maître ou modérateur pour les garder en bon ordre. Parfois seize jouaient ensemble sur leurs instruments qui étaient dix sacqueboutes, quatre cornets et deux violes de gambe d’une grandeur extraordinaire ; parfois c’était six sacqueboutes et quatre cornets, parfois deux instruments seulement, un cornet et un dessus de violes. Cette musique était si belle, si délectable, si rare, si admirable, si excellente, qu’elle ravissait et stupéfiait même, tous les étrangers qui n’en avaient jamais entendu de pareille. Comment les autres en furent affectés, je n’en sais rien ; mais, pour ma part, je puis dire cela : pendant l’exécution, j’étais transporté avec Saint-Paul, au septième ciel".

Style concertant (XVIIème Siècle)

Claudio Monteverdi (1547 - 1643) §

 

Il y a au moins trois bonnes raisons pour attirer, au premier chef, l'attention du lecteur sur Monteverdi, lorsqu'il s'agit d' aborder l'étude de la musique classique européenne au début du XVIIème siècle.

La première est celle qu'on trouve formulée dans Wikipédia, de la manière suivante : "Dans leur totalité, les huit premiers Livres de madrigaux de Monteverdi montrent l'immense développement de la musique polyphonique de la Renaissance, et son évolution vers le style concertant et la monodie accompagnée, caractéristique de la musique baroque".

La deuxième est que Monteverdi apparaît pratiquement comme l'inventeur de l'opéra, avec Orfeo, créé à Mantoue en 1607, et l'Incoronazione di Poppea, joué à Venise en 1642.

La troisième raison est qu'avec les Vêpres de la bienheureuse Vierge (Vespro della beata Vergine - 1610), Monteverdi réalise, dix ans après le début du siècle, un chef-d'oeuvre absolu qui place son auteur sur le même rang que Bach ou Haendel, dans leurs plus hautes productions de musique sacrée.

Bien sûr, tout cela est dans la CIME, avec une mention particulière pour le Sixième Livre de Madrigaux, dans lequel la polyphonie profane de la Renaissance atteint simultanément son point culminant et sa fin.  

Giacomo Carissimi (1605 - 1674) § 

 

Ce compositeur italien est né près de Rome, où il s'est affirmé comme le maître incontesté de l'oratorio, encore appelé "histoire sacrée", au XVIIème siècle ; citons, entre autres, Jephté et le Jugement de Salomon écrits vers 1750, et qui se trouvent dans la CIME. Il s'agit de représentations sur paroles latines d'épisodes bibliques à des fins d'édification (instruction religieuse) des croyants. Ces oeuvres mettent en jeu des voix et un orgue auquel s'ajoutent d'autres instruments. L'auteur confie à un récitant (historicus) la déclamation musicale "qui laisse de temps à autre la place à des mélodies plus organisées qui tendent vers l'aria et à des polyphonies expressives" (Bernard Gagnepain).

Girolamo Frescobaldi (1583 - 1643) §

 

Entre Antonio de Cabezon et Jean-Sébastien Bach, l'Europe a produit Girolamo Frescobaldi, qui fut aussi, lui, en son temps, "prince des organistes". Né à Ferrare, Frescobaldi est mort à Rome où il effectua la plus grande partie de sa carrière.

On pourrait dire de sa musique qu'elle réalise la transformation définitive de la polyphonie d'église a cappella en contrepoint instrumental. Frescobaldi est l'un des créateurs de la "messe d'orgue", dont il publia plusieurs exemples en 1635 dans un recueil intitulé "Fiori musicali". Cet important ouvrage contient "toccate, canzone, ricercari et versets sur thèmes grégoriens. Frescobaldi y pratique soit un contrepoint strict, soit un style moins austère, méditatif, presque improvisé".

Ce  qui vient d'être affirmé s'appuie sur des enregistrements qui figurent dans le contenu musical de la CIME.

Heinrich Schütz (1585 - 1672) § 

 

Né tout juste un siècle avant Bach, Schütz fut le premier Allemand à faire son entrée dans le cercle des Immortels de la musique européenne. C'était, à vrai dire, un disciple des Italiens, et tout particulièrement de Giovanni Gabrieli dont il fut l'élève à Saint-Marc de Venise entre 1609 et 1612. Plus tard, en 1628, Schütz fit un second séjour en Italie, mais il n'est nullement prouvé qu'il y ait rencontré Claudio Monteverdi, qui, en 1613, avait succédé à son ancien et révéré maître dans la célèbre basilique où se pratiquait la polychoralité. Il est certain, en revanche, que Schütz mit à profit cette nouvelle année d'études pour s'informer de l'évolution des techniques de composition dans la péninsule italienne, et se les approprier ; ceci fut notamment le cas à Rome, pour ce qu'on appelait le style représentatif (stile rappresentativo), dont l'oratorio ou "histoire sacrée" est l'exemple le plus probant. Les premières oeuvres de Schütz se rattachent à la tradition vénitienne du double-choeur (Psalmen Davids - 1919), et sa dernière "représentation" importante est un oratorio de Noël (1664). Entre les deux s'étend une production d'une grande valeur expressive qui marque le passage progressif de son auteur de la latinité à un germanisme emprunt d'un charme tudesque.

Les plus belles pages de Schütz ont été réunies dans l'application de la CIME.

Jean-Baptiste Lully (1632 - 1687) §

 

Au service de Louis XIV, Lully a collaboré à trois catégories de spectacles dans lesquels la musique joue un rôle important, et même primordial, dans le dernier cas. La première catégorie est celle du ballet de Cour ; la seconde, celle de la comédie-ballet ; la troisième, enfin, celle de l’opéra autrement désigné par les termes de "tragédie lyrique".

Le ballet de Cour, au XVIIème siècle, était une sorte de bal masqué à thème, auquel participaient activement, sous divers déguisements, des membres de l’entourage royal et le souverain lui-même. Poètes, musiciens et maîtres de danse étaient mis à contribution pour préparer "les Grands" à la réalisation d’une telle fête. C’est d’ailleurs à la suite de l’apparition de Louis XIV en costume et sous les traits du dieu mythologique Phébus-Apollon, que le surnom de "Roi-Soleil", qui lui est resté, fut attribué au fils et successeur de Louis XIII.

La comédie-ballet fut la deuxième catégorie de spectacles à laquelle coopéra Lully. Il y eut pour partenaire  un personnage nommé à l’origine "Jean-Baptiste Poquelin", et qui n’était autre que le grand Molière en personne.

Cette "comédie-ballet" était une pièce de théâtre comique dédiée au monarque et destinée à le divertir, ainsi que sa Cour. Ce spectacle consistait non seulement en scènes parlées et jouées par des acteurs dont c’était le métier, mais également en intermèdes musicaux, tels que des airs accompagnés au théorbe ou au luth et des scènes de danse.

En 1670, les deux Jean-Baptiste, Lully et Molière, se fâchèrent à la suite de la représentation du "Bourgeois Gentilhomme", une comédie-ballet au succès de laquelle chacun des deux artistes prétendit avoir eu la meilleure part. Cette œuvre célèbre contient en son dernier acte, la très fameuse "Cérémonie des Turcs" dont la musique, la plus connue de Lully, a fait, depuis, le tour du monde.

De 1673 à 1686, année précédant celle de sa mort, Lully fit représenter au Palais Royal de Saint-Germain puis à celui de Versailles, les douze tragédies lyriques qui ont fait l’essentiel de sa gloire aux yeux de ses contemporains et devant la postérité. La première de ces pièces de théâtre entièrement chantées (car telle est depuis le début la définition de l’opéra) s’intitule Cadmus et Hermione, la seconde, Alceste, et la dernière, Armide. Les douze œuvres en question, à l’exception d’une seule, furent écrites avec le concours du même librettiste, appelé Quinault.

 

Dans ces tragédies lyriques, d’une grande richesse poétique, dramatique, chorégraphique et musicale, Lully élabore, de fait, le modèle de l’opéra baroque à la française. Celui-ci est tout entier tourné vers la glorification de l’ordre établi qui était celui de la monarchie absolue. Cette forme apologétique et majestueuse du théâtre lyrique durera jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. On l’a opposée au modèle italien, plus volubile, disert, et moins aristocratique. Au XVIIIème siècle, Rameau et Gluck seront les représentants les plus illustres de cette tradition relevant de ce qu’on appelait, à l’époque, "le goût français". Ils apparaissent de ce fait, à maints égards, comme les continuateurs géniaux d’un genre que Lully a créé.

 

Marc-Antoine Charpentier (1643 - 1704) §

 

Marc-Antoine Charpentier, dont on cite toujours le prénom, car d’autres compositeurs français plus ou moins célèbres ont porté le même patronyme que lui, fut, à Rome, l’élève de Carissimi. C’est pourquoi il importa en France le genre de l’oratorio en latin, ou "histoire sacrée", dont le but était l’édification des croyants du temps de la Contre-Réforme. A partir de 1672, Marc-Antoine fut le collaborateur de Molière, brouillé avec Lully, en écrivant la musique de ses comédies-ballet, puis, après la mort du "Florentin" (c’était le surnom de Lully), il composa une tragédie lyrique d’une grande valeur (Médée - 1693) qui n’eut pas, sur le moment, le succès escompté.

On a longtemps présenté Marc-Antoine Charpentier comme le rival malheureux d’un Lully qui, craignant qu’un musicien aussi doué lui fasse de l’ombre, aurait fait obstacle au bon déroulement de sa carrière, en monopolisant le droit d’écrire des opéras. Cela est peut-être vrai, mais n’enlève rien à l’intérêt d’une production qui comporte, outre des oratorios comme "David et Jonathan", huit Te Deum, quantité de grands motets nobles et majestueux, de belles cantates telle que celle intitulée "Les Arts Florissants", et de ravissantes musiques de Noël parmi lesquelles se trouve la célèbre "Messe de Minuit".

Dietrich Buxtehude (1638 - 1707) §

 

Tous ceux qui ont écrit à son sujet affirment qu’il fut le compositeur allemand le plus important, parmi ceux qui ont vécu entre Schütz et Bach. Cet organiste de Lübeck (Nord de l’Allemagne) a laissé de nombreuses œuvres pour clavier, auxquelles s’ajoutent des sonates en trio et des cantates, les unes sur paroles latines, les autres sur paroles allemandes.

Henry Purcell (1659-1695) §

 

Purcell est célèbre pour ses "grounds", ses "masks", son unique opéra (Didon et Enée) et ses musiques de circonstance destinées à la célébration d'événements importants marquant la vie de la Couronne d'Angleterre. Les services rendus à cette dernière, lui ont valu l'honneur posthume d'une sépulture à l'abbaye de Westminster où reposent ces rois et ces reines qu'il a su si bien magnifier.

Les variations écrites sur un motif de basse obstinée sont, au XVIIème siècle, très nombreuses en Italie, France ou Angleterre. Toujours lentes et mesurées à 3 temps, ces pièces conçues suivant un procédé d'origine espagnole, ont reçu différents noms parmi lesquels ceux de chaconne et de passacaille. De caractéristiques analogues, le "ground", chez nos voisins britanniques, part du principe d'une basse d'harmonie qui se répète et au-dessus de laquelle évoluent les voix plus aiguës . Dans ses oeuvres vocales Purcell revient sans cesse à ce procédé de "ground" qui est l'un des éléments les plus caractéristiques de son style. En outre, l'une des  oeuvres les plus célèbres du Maître anglais est la Chaconne en Sol mineur, composée vers 1680, laquelle figure parmi celles que l'on peut, sans risque d'erreur, juger incontournables.

Les masks sont des pièces de théâtre lyrique faisant alterner les scènes parlées, les scènes chantées et les danses. C'est sans doute parmi eux qu'il faut rechercher les plus grands chefs-d'oeuvre de celui que ses contemporains nommèrent "l'Orphée britannique". On trouvera dans l'application numérique de la CIME en version intégrale (moins les scènes parlées) les principaux masks de Purcell : King Arthur (1691), The Fairy Queen (1692), The Indian Queen (1695), cette dernière  ayant été laissée inachevée.

Arcangelo Corelli (1653 - 1713) §

 

Né à Fusignano près de Ravenne, Corelli commença à Bologne une carrière de violoniste compositeur qu'il termina à Rome, où il mourut en 1713. Son oeuvre principale, l'Opus VI, fut publiée l'année suivante à Amsterdam, ville dans laquelle étaient apparus de nouveaux éditeurs de musique. Cet opus VI est une collection de douze concerti grossi dont on ignore exactement quand ils ont été composés, et dont certains pourraient dater des années où furent écrites  les premières sonates (vers 1680). Celles-ci, au nombre de soixante, furent publiées en cinq Livres de 1681 à 1700.

La dernière d'entre elles est la plus célèbre, encore qu'elle ne réponde pas au modèle-type de la sonate baroque, tel qu'il a été élaboré par Arcangelo Corelli, lui-même, à la fin du XVIIéme siècle ; "La Follia", en effet, est une série de variations sur le thème des "Folies d'Espagne" bien connu des compositeurs de ce temps-là.

L'autre oeuvre de Corelli, demeurée dans la mémoire collective, est le concerto grosso en Sol mineur, dit "Concerto pour la Nuit de Noël", lequel se termine par une admirable et douce "pastorale" évoquant l'Adoration des Bergers. Dans la totalité de ses oeuvres, Corelli tend à un équilibre de la forme, et à une perfection toute nouvelle du contrepoint et de l'harmonie tonale. C'est pourquoi on a pu dire de lui qu'il était le plus "classique" des compositeurs "baroques".

Tout cela est aisément vérifiable dans l'application numérique de la CIME, où se trouvent de nombreux exemples de ce qui vient d'être avancé.