Tonalité élargie

Claude Debussy (1862 - 1918) §

 

Le texte suivant est la présentation d'un concert diffusé par France Musique dans les années 70 ; il illustre parfaitement l'état d’esprit de Debussy lorsqu’il composait de la musique, tout particulièrement celle de ses trois grands tableaux symphoniques en trois volets que sont Nocturnes (1899), La Mer (1905) et Iberia (1912) :

 

« En 1900 eut lieu, aux Concerts Lamoureux, la création des deux premiers Nocturnes. Mais cette œuvre procédait d’un dessein plus ancien. En effet, dans une lettre à un ami écrite en 1892, Debussy parle de "trois scènes au crépuscule presque achevées".

Trois ans plus tard, les scènes sont devenues trois nocturnes pour violon et orchestre, destinées à Eugène Ysaïe. Une brouille survint entre le virtuose et le compositeur, et Debussy transforma son œuvre pour orchestre seul.

C’est à propos de ce triptyque que l’on commença à parler "d’impressionnisme", notion que le musicien encouragea en donnant des commentaires en termes picturaux.

"Le terme nocturne, écrivit-il, va prendre un sens plus général et plus décoratif. Il ne s’agit pas de la forme habituelle, mais de tout ce que ce mot contient d’impressions et de lumière spéciale.

"Nuages", c’est l’aspect immuable du ciel, la marche lente et mélancolique des nuages finissant dans une agonie grise devenue teintée de blanc.

"Fêtes", c’est le mouvement, le rythme dansant de l’atmosphère et des éclats de lumière brusques, aussi l’épisode d’un cortège passant à travers la fête, se confondant en elle, mais il reste toujours la fête et son mélange de musique, de poussière lumineuse participant à un rythme total.

"Sirènes", c’est la mer et son rythme innombrable, puis parmi les vagues argentées de lune, s’entend, rit, et passe le chant mystérieux des sirènes.

Debussy, dans ses conseils aux musiciens, leur demandait d’aller voir le lever du soleil, d’être attentifs au vent qui passe, de se pénétrer des gammes de couleurs que jouent les saisons, …"

 

Tout cela, il l’a lui-même introduit dans sa musique, particulièrement dans "Nocturnes" qui est comparable, par la succession de petits motifs mélodiques et rythmiques, aux touches colorées de Monet. »

Leos Janacek (1854 - 1928) §

 

 

En France, on connaît depuis fort longtemps la musique de Leos Janacek, tout particulièrement son étonnante et vivifiante "Sinfonietta" (1926), ainsi que son second quatuor "Lettres intimes" (1928). Cela tient vraisemblablement aux liens politiques et culturels étroits ayant uni notre pays à la Tchécoslovaquie au cours de l’entre-deux-guerres.

Né neuf ans après Gabriel Fauré, et huit avant Claude Debussy, Leos Janacek est, incontestablement et tout comme eux, l’un des premiers compositeurs à avoir dirigé la créativité musicale européenne vers de nouvelles destinées ; il est l’un de ceux que l’on peut qualifier, sans risque d’erreur, de "modernes". Cependant, Janacek se singularise par une conversion à une conception très personnelle et élargie de la Tonalité, survenue fort tardivement dans sa carrière. Janacek, qui n’a cependant rien à voir avec Debussy, comme il tenait à le souligner lui-même, est, de fait, le premier compositeur de génie provenant au XXème siècle, de cette Europe Centrale, qui, après lui, en produira plusieurs autres : Bartok, Kodaly, Martinu, Enesco... Tous, à des titres divers, apparaissent comme les héritiers des Ecoles Nationales du siècle précédent, avec plus d’authenticité, peut-être, dans leurs recherches de la couleur locale.

 

Pour en revenir aux œuvres de Leos Janacek qui ont fait date, et qui resteront en mémoire tant qu’il y aura des humains doués d’une vraie sensibilité musicale, n’oublions pas de citer sa très belle sonate pour violon et piano (1921), sa grandiose "Messe glagolitique" (1926), ainsi que son opéra fétiche, "La Petite Renarde rusée", qui est un véritable enchantement. 

Maurice Ravel (1875 - 1937) §

 

Comme celle de son aîné Claude Debussy, la musique de Ravel fut longtemps rangée dans la catégorie de "l'impressionnisme". Cependant, l'opinion de Serge Prokofiev, qui n'aimait pas Debussy mais appréciait l'auteur du "Concerto pour la main gauche" au plus haut point, montre qu'il y a une grande différence : demi-teintes et flou artistique d'un côté, finesse et précision du trait de l'autre. Comme le peintre Toulouse-Lautrec dont les oeuvres sont exposées au musée d'Albi, Ravel aurait pu dire : "Si j'avais eu les jambes un peu plus longues, je ne serai jamais devenu artiste". De même complexion que le peintre et légèrement contrefait, Ravel n'eut guère de succès auprès des femmes. Il mourut célibataire, sans progéniture et légua ses droits d'auteur à un frère handicapé et grabataire. Néanmoins, sa musique le place au premier rang des compositeurs européens, avec quatre ou cinq autres français, à une époque où la musique classique "moderne", alors à son zénith chez nous, culminait  avec les Paul Dukas, Lili Boulanger, Albert Roussel, Florent Schmitt, sans oublier l'excentrique Erik Satie ; et en attendant Francis Poulenc, Arthur Honegger, Darius Milhaud, déjà bien partis pour prendre la relève, et qui auront eux-mêmes précédé  les Messiaen , Boulez et Dutilleux, ces derniers ayant  atteint leur "acmé" après la deuxième guerre mondiale.

Ravel n'a pas composé que le Boléro qui a fait sa célébrité à travers le monde, et dont le succès l'agaçait un peu. Son oeuvre témoigne parfois d'un humour grinçant mais le plus souvent d'une exquise poésie. Celle-ci se traduit dans bon nombre de cas par un attachement "au monde merveilleux de l'enfance". Le Quatuor à cordes (1902), Gaspard de la Nuit (1908), Ma Mère l'Oye (1910), Daphnis et Chloé (1911), le Concerto en Sol (1931) font encore le bonheur des chefs d'orchestre et concertistes internationaux. Le génie de Ravel fut reconnu de son vivant-même au-delà des mers et surtout outre-Atlantique. Au cours d'un voyage qu'il fit aux Etats-Unis en 1928, Gerschwin lui demanda des leçon d'harmonie. Mais Ravel refusa pour des raisons qu'il serait  bon d'approfondir dans un débat sur le blog.

Albert Roussel (1869 - 1937) §

 

Roussel fait partie de l'incomparable pléiade de compositeurs français qui, au début du siècle dernier, ont largement contribué à l'épanouissement de la musique symphonique, de la musique de chambre, de la musique de piano et de la mélodie françaises. Comme il a pris soin de définir lui-même son esthétique lorsque, en 1926, il composait sa très belle Suite en Fa, il vaut mieux lui céder la parole que de gloser davantage sur cette question. Pour lui, en effet, l'orientation de la musique d'alors se traduit par "le retour à des lignes plus nettes, des traits plus accusés, un rythme plus précis, une écriture plus horizontale que verticale, une certaine brutalité parfois dans les moyens d'expression contrastant avec l'atmosphère vaporeuse de la période précédente, un regard attentif et sympathique vers la robuste franchise d'un Bach ou d'un Haendel".

C'est évidemment Debussy et Fauré qui sont visés dans le texte cité, et on ne saurait exprimer mieux les intentions qui prévalent dans les troisième et quatrième symphonies (1930 et 1934), les inoubliables musiques de ballets que sont le Festin de l'Araignée (1912), Bacchus et Ariane (1930) et Aeneas (1935), qui comptent parmi les chefs-d'oeuvre du maître français.

Florent Schmitt (1870 - 1958) §

 

Schmitt est encore un compositeur français, d'origine lorraine, comme son nom l'indique, porté à la rudesse harmonique et à la franchise des lignes mélodiques en réaction au "flou debussyste" et aux "atmosphères vaporeuses" à la Gabriel Fauré. Comme son contemporain Albert Roussel et son cadet Arthur Honegger, Schmitt fut amoureux de l'histoire ancienne et de la tradition biblique. Il eut même un goût prononcé pour une certaine monumentalité et  un gigantisme "ninivite et babylonien", pour reprendre une expression utilisée longtemps avant lui par Hector Berlioz. Cela transparaît non seulement dans son Psaume 47 (1904), son oeuvre la plus célèbre, mais aussi dans La Tragédie de Salomé (1911) et, plus encore, dans Salambô (1927). Il s'agit, pour cette dernière partition citée, d'une très belle musique composée en 1927 afin d'illustrer certaines scènes du roman de Gustave Flaubert de même titre, dont l'action se déroule à Carthage du temps des Guerres Puniques.

On peut accéder à la connaissance de ces oeuvres et à d'autres, fort belles mais peu jouées, comme le Quintette avec piano (1908) ou le Quatuor à cordes (1947), en achetant l'application multimédia de la CIME.

Manuel de Falla (1876 - 1946) §

 

Faisant suite à Albeniz et Granados, Manuel de Falla "est allé du plus extérieur au plus profond de la musique espagnole", ainsi que le disait jadis une présentatrice talentueuse sur la chaîne de radio France-Musique. Comment cet itinéraire spirituel, s'est-il accompli ? Il revient bien sûr à l'auditeur de le découvrir dans un parcours qui va de l'opéra "La Vie Brève" (1913) à la cantate scénique inachevée l'Atlantide, à laquelle Manuel de Falla travailla jusqu'à son dernier souffle. "Nuits dans les Jardins d'Espagne" (1915) et les "Sept Chansons Populaires Espagnoles" (1915) apparaissent de ce fait comme deux étapes importantes et particulièrement réussies dans ce qui semble être, à maints égards, la recherche douloureuse d'un absolu dans le domaine de la perfection expressive et formelle. Cet aspect mystique, et parfois ascétique de la démarche créatrice du compositeur espagnol, n'a pas échappé aux commentateurs les plus lucides qui ont vu en lui une sorte de Saint.

Bohuslav Martinu (1890 - 1959) §

 

"Ma plus belle oeuvre, c'est Martinu", disait Albert Roussel, le Maître français auprès duquel le compositeur tchèque était venu demander des leçons dans les années 1920.

Oui, mais la plus belle oeuvre de Martinu, quelle est-elle ? 

Impossible de décider tant les compositions de premier ordre sont nombreuses chez ce digne successeur de Leos Janacek. Essayez cependant la Quatrième Symphonie (1945) ; c'est, avec la deuxième, la plus parfaite parmi les six qu'il a composées ; et si cela vous plait, continuez avec la Messe Militaire (1937), le Sixième Quatuor (1946), ou la Troisième Sonate pour violon et piano (1944). Au cas où vous sentiriez très attiré par la musique de Bohuslav Martinu, ce qui prouverait l'excellence de votre goût, n'oubliez pas non plus que ce compositeur a écrit de beaux opéras comme Julietta (1938) et la Passion Grecque (1953).

Vous trouverez tout cela dans la version numérisée de la CIME, si vous décidez de vous la procurer, et bien d'autres choses encore que le signataire de ces lignes y a pieusement rassemblées.

Heitor Villa-Lobos (1887 - 1919) § 

 

Autant l'oeuvre de Manuel de Falla, musicien espagnol mort exilé en Argentine, est rare, concise et recherchée, autant celle du second grand compositeur moderne d'origine ibérique, le brésilien Heitor Villa-Lobos, est étendue, surabondante, luxuriante, sortie d'une veine intarissable et composée avec une apparente et stupéfiante facilité...

Villa-Lobos est l'auteur d'une production-fleuve qui en fait l'image de son pays natal, et de l'immense forêt qui couvre une bonne partie de celui-ci. Une énorme vitalité et une absence complète de sentiment d'infériorité vis-à-vis de l'Europe ont conduit ce latino-américain à concevoir une production immense, et en dehors de toute norme. Villa-Lobos est l'exemple même du parfait autodidacte. En effet, selon ses dires, il n'a eu aucun professeur de composition, pas plus en contrepoint et harmonie qu'en instrumentation et orchestration. Il a donc tout appris et réglé par lui-même.

Ses oeuvres les plus célèbres sont les neuf Bachianas Brasileiras, librement inspirées du modèle offert par la musique de Bach. On lui doit aussi de remarquables pièces écrites pour le piano, et 17 quatuors, nombre choisi à dessein pour égaler Beethoven. Y est-il parvenu ? Certains disent que oui...

Arthur Honegger

Paul Hindemith (1895 - 1963) §

 

En histoire de la musique, on appelle "Ecole de Vienne" un groupe de trois compositeurs (Arnold Schoenberg, Alban Berg et Anton Webern), dont le second et le troisième furent les disciples du premier, et qui ont développé, au début du siècle dernier, une forme de musique atonale systématique appelée "dodécaphonisme". Bien qu'il soit leur cadet de quelques années, Paul Hindemith n'a pas retenu l'option esthétique voulue par cette Ecole de Vienne. Il s'est attaché, au contraire, à continuer dans la voie d'une tonalité considérablement élargie, pour créer un langage éminemment personnel. Comme la quasi-totalité de ses contemporains, Hindemith dut se réfugier au Etats-Unis durant la Deuxième Guerre Mondiale, car sa musique était considérée durant le Troisième Reich comme l'exemple même de "l'art dégénéré". Ce n'est évidemment pas l'opinion de celui qui écrit ces lignes, et qui voit au contraire en Paul Hindemith l'un des compositeurs les plus créatifs de sa génération.

C'est pourquoi ont été réunies dans la CIME une quinzaine d'oeuvres du maître allemand, dont les plus connues sont la symphonie tirée de l'opéra Mathis le Peintre (1938), Les Quatre Tempéraments pour piano et orchestre (1940), le concerto pour violon (1940) qui a été enregistré par de grands artistes comme Ivry Gitlis et David Oïstrakh (1940), et les Métamorphoses Symphoniques  sur des thèmes de Weber (1943). Toutes proportions gardées, Paul Hindemith est un compositeur au moins aussi important pour son siècle que Brahms le fut pour le précédent. 

Serge Prokofiev

Aram Khatchaturian

Francis Poulenc

Kurt Weil

Henri Tomasi

Dimitri Chostakovitch (1906 - 1975) §

 

La vie de ce compositeur russe se confond, pour sa plus grande part, avec l'histoire tragique de l'Union Soviétique, dont il fut le chantre le plus glorieux et le plus salué à travers le monde.

Lorsqu'un mélomane entend prononcer le nom de Chostakovitch, il pense immédiatement à ses symphonies ; peut-être pas aux quinze qu'il a composées, mais au moins à la première (1925), qui, pour un coup d'essai, fut un coup de maître. D'autres oeuvres de Chostakovitch ont reçu, depuis la Deuxième Guerre Mondiale, un accueil enthousiaste du public mélomane.

On pense en particulier à ses deux concertos pour violon et orchestre (1948 et 1967), dédiés au grand violoniste russe David Oïstrakh, et enregistrés par lui ; à moins que ce ne soit aux deux concertos pour violoncelle et orchestre (1949 et 1966) dont le dédicataire et premier exécutant fut Mstislav Rostropovitch en personne ; l'illustre violoncelliste russe le salua en jouant de son instrument à la chute du Mur de Berlin en 1990.

La CIME  comporte une vingtaine d'oeuvres qui comptent parmi les plus remarquables que Dimitri Chostakovitch ait composées. Parmi elles on dénombre neuf symphonies, et les quatre concertos cités plus haut. On n'a pas oublié l'admirable quintette en Sol mineur de 1940.

Nouveaux principes

Alexandre Scriabine

Arnold Schoenberg

Charles Ives

Igor Stravinsky

Bela Bartok

Edgar Varese

Darius Milhaud

Olivier Messiaen

Benjamin Britten

Henri Dutilleux

Yannis Xenakis

Luciano Berio

György Ligeti

Pierre Boulez (1925 - 2016) §

 

Hommage de Fleur Pellerin, ex-ministre de la Culture et de la Communication (Paris, 6 janvier 2016)

 

 

« Une immense figure de la musique contemporaine s’éteint aujourd’hui. Un chef d’orchestre et un compositeur hors norme qui aura profondément marqué son siècle. Me revient en mémoire la rétrospective que lui a consacrée la Philharmonie de Paris - Cité de la Musique l’an passé ; une Philharmonie dont il a d’ailleurs été l’un des principaux initiateurs.

Pierre Boulez, c’est le compositeur du "Marteau sans maître", de "Pli selon pli", ou de "Repons". C’est une œuvre dont l’inspiration est aussi puisée chez Mallarmé, Char ou Michaux. C’est le chef de génie, qui enchanta le festival de Bayreuth en 1976 avec sa direction de la "Tétralogie" de Richard Wagner ou l’Opéra de Paris avec la création intégrale de "Lulu" d’Alban Berg. C’est le compositeur et théoricien sérialiste, l’inventeur du "temps lisse", libéré de la mesure. C’est le père de l’IRCAM et de l’Ensemble Intercontemporain…

 

Provocante et secrète, riche de ses révolutions permanentes et de ses affinités électives, l’œuvre de Boulez raconte la quête et l’itinéraire, entre accords et désaccords, d’un enfant du siècle à la recherches d’harmonies nouvelles… »