Les musiques modernes

Pour le commun des mélomanes, l’histoire de la musique commence au début du XVIIème siècle, avec Monteverdi et s’achève à la fin du XIXème avec Wagner ou Brahms. Quelques audacieux, beaucoup moins nombreux que les précédents, s’enquièrent parfois de ce qui s’est passé après l’auteur de la Tétralogie ou celui du Requiem allemand. Ils poussent la curiosité jusqu’à Ravel, son Concerto en Sol, ou son Boléro. Vous en rencontrerez peut-être un ou deux avec qui vous pourrez parler de Stravinsky ou de Bartok mais ce sera, à coup sûr, des gens qui font ou qui ont fait de la musique, et pas n’importe laquelle.

 

Depuis que je suis en âge de porter des jugements sur la création musicale, pas trop injustes ou erronés, du moins je l’espère, j’ai vu passer et disparaître deux générations de grands musiciens.

 

La première, c’est incontestable, a porté à leurs ultimes conséquences les techniques de composition et les formes d’un langage qui lui avaient été léguées par ses prédécesseurs des XVIIIème et XIXème siècles. Simplement, elle y a augmenté de façon parfois difficilement soutenable, à la suite de Stravinsky et de Bartok, l’emploi de la dissonance, pensant peut-être à tort, que l’oreille humaine la suivrait dans tous les cas. Les Honegger, Martinu, Villa-Lobos, Hindemith, Milhaud, Prokofiev, Chostakovitch, Britten, et même Messiaen, pour ne citer que les plus connus, s’inscrivent tous dans cette continuité audacieuse et un peu folle qui prend parfois l’aspect d’une provocation ou d’une fuite en avant .

 

La seconde génération qui vient de perdre son dernier représentant patenté, celle des Berio, Maderna, Ligeti, Xenakis et Boulez, est bien différente. Elle s’est inspirée de modèles venus de la première moitié du siècle qui les a vu naître et qui, tous, étaient en rupture profonde avec la tradition antérieure : les trois "Viennois" Schoenberg, Webern et Berg, l’Américain Charles Ives et le franco-américain Edgar Varèse. Pour tous ces génies, presque tous incompris de leur vivant, et aujourd'hui encore, il semblerait que le message ait plus de mal à passer.

 

La musique est un art de partage. Comme le dit Marcel Proust dans sa Recherche du Temps Perdu, c’est la communication des âmes. Celle des grands musiciens est immortelle. Il revient à la CIME de le faire savoir.

Tonalité élargie

Jusqu’à Wagner et César Franck, les compositeurs se sont servis presque exclusivement du mode majeur et du mode mineur pour structurer chant et accords, autrement dit mélodie et harmonie.

 

Cette application du système tonal, au sens le plus strict et rigoureux de l’expression, est une règle générale dans les musiques antérieures qu’elles soient baroques, classiques, romantiques ou post-romantiques. A cette règle n’échappent ni l’auteur de la Tétralogie ni celui des Béatitudes.

 

A partir de 1880, tout cela change de par la venue sur le pavois de deux compositeurs français qui vont profondément modifier la règle du jeu. Pour sortir du système en place depuis deux cents ans, il y eut tout d’abord Gabriel Fauré. Celui-ci eut recours aux modes anciens et pseudos-grecs qu’il avait appris à maîtriser en accompagnant à l’orgue le chant grégorien.

 

Aux modes anciens, Claude Debussy ajouta ensuite la gamme pentatonique également appelée "gamme chinoise" et la gamme par tons passant pour être, elle aussi, originaire d’Extrême-orient. L’ironie du sort voulu que la gamme "chinoise" fut aussi celle de la musique dite "celtique" : très anglophile, Debussy s’est servi de cette gamme pour évoquer tout ce qui, pour lui, se rattache de près ou de loin aux Iles Britanniques et au monde anglo-saxon.

 

Fauré et Debussy ont donc inauguré la modernité en proposant une alternative qui joue sur l’échelonnement des sons de la gamme et s’appelle "la modalité".

 

Cette modalité marque en fait le point de départ de nouvelles façon d’envisager l’art de la composition musicale qui, toutes, peuvent être réunies sous le nom générique de "tonalité élargie". Les musiques "modernes" peuvent ainsi être classées en fonction de leur degré d’éloignement par rapport à la tonalité stricte qui peut aller de la tonalité élargie, aux micro-intervalles et à l’atonalité pure et simple. C’est pourquoi dans la CIME les principaux compositeurs du XXème siècle ont été répartis en deux catégories :

  • ceux qui consciemment ou non se sont exprimés dans le cadre d’une tonalité entendue dans un sens plus ou moins large,
  • et ceux qui, délibérément, ont opté à un moment ou à un autre de leur carrière, pour un dépassement partiel ou total et systématique de cette tonalité. Ils sont aussi nombreux dans un cas que dans l’autre.

Nouveaux principes

On est obligé de parler ici des différentes "révolutions" ou ruptures qui ont émaillé l’histoire de la musique classique au cours du siècle passé et qui rendent l’appréciation de cet art si difficile pour le public contemporain.

 

Outre l’impressionnisme debussyste fondé en partie sur les incertitudes tonales de la gamme par tons, il y eut aussi le "scandale du Sacre du Printemps" (Stravinsky - 1913) qui marqua l’aboutissement de "l’émancipation de la dissonance".

 

Mais ce n’était là qu’un commencement car Arnold Schoenberg était déjà en passe à cette époque, d’aller beaucoup plus loin que Stravinsky après avoir suspendu, dès 1908, dans son deuxième quatuor, les "fonctions tonales". C’est Schoenberg encore qui annonça fièrement dans une proclamation célèbre en 1922 : "Je viens de faire une découverte qui assure pour deux siècles la suprématie de la musique allemande". Cette "découverte" c’était sa méthode de composition avec douze sons autrement appelée "dodécaphonisme".

 

Du dodécaphonisme est issue après la seconde Guerre Mondiale la musique sérielle dont Pierre Boulez, fut le dernier et le plus intraitable représentant.

 

A cela s’ajoute un courant de l’Art-Science principalement incarné par le banquier américain Charles Ives, l’ingénieur italo-américain Edgar Varese et l’architecte franco-grec Yannis Xenakis.

 

Il y eut encore d’autres "révolutions" au cours du siècle qui vient de s’écouler :

  • la musique concrète de Pierre Schaeffer et Pierre Henry, à base "d'objets sonores" enregistrés sur bande magnétique dans la réalité environnante,
  • la musique électronique, issue de la précédente et qui a fini par s’appeler "musique électro-acoustique",
  • la musique algorythmique d’Alain Barbaud et Jacqueline Charbonnier, qui a vu l’utilisation par ses créateurs sans résultats bien probants d’énormes machines de cybernétique, ancêtres de nos ordinateurs actuels.

Tout cela semble déjà bien oublié. Seule la musique "sérielle" de Bruno Maderna et de Luciano Berio, auteurs d’œuvres atonales remarquables, et la micro-polyphonie de Georgy Ligeti semblent devoir échapper à l'oubli qui menace "l’Avant-Garde".

 

 

 

Yves Maze